L'estuaire de la Loire

Les écrivains


René-Guy Cadou Paul Morin
Julien Gracq Alain Defossé
Hélène Cadou Franc Mallet

Haut de page René-Guy Cadou

uatre fois par jour je traversais la Loire.
J’aimais le froid vif de sept heures, le cheval hésitant sur le pavé en bois du pont de la Madeleine, le teint pâle des maraîchers. Il n’était pas de matin que je m’arrêtasse au dessus de l’arche majeure du pont; les mains crispées sur la balustrade, je m’empêtrais dans les tourbillons de l’eau, j’allais donner durement du front contre un pilier et libéré soudain, j’appréhendais la grande rue matinale où les carrioles de la banlieue déversaient sans relâche leur butin de la nuit. Le second bras de la Loire n’était point encore comblé mais déjà l’eau n’y coulait qu’en silence, comme si elle devinait, par delà les bancs de sable et l’inertie rageuse des tuyaux, les derniers soubresauts de la défaite prochaine."

Haut de page Paul Morin

a Loire a ses caprices lorsqu’elle se soumet à chaque marée.
Elle mêle le doux et le salé, offre à l’esprit des mariages incessants des ciels et des terres, des ciels et des mers. Elle transforme à son plaisir, dans un axe qui naît avec le levant et vit avec le couchant, tout ce que le doux et le salé peuvent apporter de couleurs, de senteurs et d’intense lumière.
Ses rives accueillent les embrasements du couchant qui voyage dans le lit du fleuve en parfaite entente de l’eau et du ciel."

Haut de page Julien Gracq

ême si son aspect d'aujourd'hui me dépayse fâcheusement,
il est surprenant que le port de Nantes n'ait jamais joué, dans le clavier de mon imagerie intime, le rôle qu'il joue éminemment dans les folklores et dans les chansons populaires. Le vrai port pour moi - parce qu'il ouvrait directement sur la mer, parce qu'on y lançait les plus gros bateaux, et parce qu'il était le port d'attache des navires-rois : les paquebots transatlantiques rouge, blanc et noir de la ligne des Antilles et de l'Amérique centrale - c'était Saint-Nazaire, où je faisais escale chaque été sur le chemin de la plage : vraiment, lui, une porte océane, où le vent du large ridait perpétuellement les flaques du boulevard de Ville-ès-Martin, et où l'épave du Champagne, échoué à l'entrée du chenal figura pendant de longues années sur l'horizon le symbole aventureux à la fois de la guerre et des hasards de mer. A côté de Saint-Nazaire, Nantes, engoncée dans son estuaire, sans bassin, sans paquebot, sans vraies lettres de noblesse maritime, me faisait l'effet d'une arrière-cour de grand magasin, d'une dépendance charretière, résignée à éponger sans prestige les coups de feu du trafic, loin derrière les vitrines étincelantes."

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e regard se porte d'abord sur la pointe camuse de l'île Beaulieu,
d'ici en pleine vue : une sorte de comprimé portuaire, serré dans la tenaille des bras du fleuve, sans un espace libre apparent - une imbrication écailleuse, confuse, mais aussi intime que celle des ardoises d'un toit, de hangars de tôle, de cales de lancement couvertes, de docks, de grues, de magasins, d'entrepôts, d'épis de voies ferrées. Luette active, congestive, sans cesse en mouvement et en soucis mais qui ne divise ici que deux chenaux déserts : à gauche le bras de la Madeleine, où l'empilement des tours de béton du nouvel hôpital dessine, à la pointe de l'ex île Gloriette, le skyline d'un Manhattan en miniature, à droite, les eaux glaireuses du bras de Pirmil, couleur de limon, et l'attrition de ces berges galeuses."

Haut de page Alain Defossé

e me suis aventuré, l’autre jour, à l’extrémité clu cours Cambronne.
Je me suis arrêté net à la grille, perplexe. Quelque chose scintillait, droit devant, au bas de la rue Maurice-Sibille, quelque chose de vaste et de plat que je n’avais jamais vu encore, et que j’ai tout d'abord, absurdement, pris pour les serres de plastique d’un grand champ maraîcher, argentées sous le soleil. Un champ argenté, au fond de cette perspective mortelle. J’ai fait encore un pas. C'était le fleuve qui brillait là, dévoilé, pour la première fois depuis des siècles, par la démoltion d'un îlot d'immeubles sur le quai de la Fosse. Sa vaste courbe s'offrait au regard depuis le cours Cambronne, comme une caresse. Jamais je n'avais soupçonné, imaginé la présence du fleuve, si proche, jamais je n'avais brisé en pensée l'alignement de ces façades. la ville respirait, et c'était la fin d'une douleur, une onction. Dans cette rue seule, quelle surprise, quel cadeau elle me faisait, cette évidence soudain découverte. Elle pouvait encore comme un enfant, jouer avec l'eau."

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este toi même.
C’est ainsi que je t’aime, que nous t’aimons, nous qui sommes nés après la mutilation, et ne te connaissons que diminuée : fermée à l’extérieur, et fermée en toi-même aussi, dépossédée de ces poumons aquatiques, de ces veines qui charriaient les bateaux, du chemin de fer qui longeait tes veines, des hommes qui charriaient tes denrées des quais aux wagons, des wagons aux quais, des tramways jaunes qui charriaient tes hommes des quartiers ouvriers au pied du pont transbordeur, des wattmen qui se souciaient peu que l’on monte ou descende en marche, des pinardiers qui dégorgeaient quai de la Fosse des hectolitres de vin d’Afrique du Nord titrant dix-huit degrés, des pochards qui venaient le soir lamper la lie au fond des tuyaux et que l’on retrouvait ivres morts au matin sur les pavés du quai, des marchandes de fleurs de la place du Commerce, dont l’homme dormait comme un enfant contre la brique rouge des hangars, des cigarières qui se hâtaient vers la Manufacture des Tabacs, des métallos vers les chantiers navals, des bourgeoises qui choisissaient elles-mêmes leur poisson à la criée de l’île Feydeau, des enfants qui se croyaient à la plage sur une langue de sable, à l’autre extrémité de l’île, des barques à fond plat qui dérivaient sous tes ponts innombrables, des pêcheurs qui ponctuaient tes quais grouillants comme au bord d’une boire mélancolique et silencieuse, de tes perspectives de fleuve et de tes immeubles penchés sur leur reflet, des centaines de bateaux voiles roulées, caisses et mannes d’osier qui accostaient en ton coeur battant, des cafés ouverts la nuit, quand ton peuple travaillait en toi et que tu respirais à son rythme, de cette indifférence que tu manifestais à être nommée, si banalement, la Venise de l’Ouest".

Haut de page Hélène Cadou

Do... mi... Nantes

ominantes les musiques du coeur sont toujours douces.

Il y a toujours ce même pan de mur aux giroflées jaunes du côté de l’enfance, toujours l’amitié d’un ciel sans fin au-dessus de la Loire et des confettis à l’aube sur les pavés.

Il y a toujours des vitriers comme des poètes et des fenêtres qui vous offrent des reflets, des éclats de jour, des miroirs plus vrai que nature.

Il y a toujours des mimosas, des lampes pleines d’odeurs, des mots qui chantonnent sur la Butte ou sommeillent dans la friche des îles.

Il y a toujours, au fond d’une grande demeure, cette toile de James Guitet si parfaite qu’elle suffirait au regard pour toute une vie.

Il y a toujours la petite mansarde où tu écrivais au plus noir de la saison des loups, tes "Lettres à des amis perdus".

Il n'y a plus de violettes au coin de rues.

Il n'y a plus l'unique exemplaire de Tristan Corbière feuilleté par des générations d'étudiants dans la bibliothèque du souvenir, il n'y a presque plus de navires.

Il y a de grands parcs profonds comme des cales avec des graines pour fleurir un continent, il y a l'Europe qui parle toutes les langues.

Il y a toujours cette pâtisserie au goût de novembre qui fait la nique à l'hiver, il y a toujours les dimanches pluvieux où le temps se noie sur l'envers du monde.

Ecoute, ce soir la mer est proche."


Haut de page Franc Mallet

La Maréchale

u Migron, passer le vieux pont de fer,
toujours un instant d'inquiétude et pénétrer dans la Maréchale, un endiguement de prés à peupliers et saules. Route en diagonale entre boeufs et vaches, fossés et curées. Un enlisement en fait, une descente à ras ou au dessous de l'eau pour, après un long cheminement quand même, aboutir droit à la Loire sur un bout de jetée, celle de l'ancien bac, bateaux de pêche à l'ancre, flot violent, taureau et en face les roselières de Cordemais. Jaune-vert et eau, seulement de l'eau, la Loire mais derrière une confrontation brutale avec la puissance des eaux, un tête à corne, bras à bras, si peu face à tant, un bras de fer et d'eau."

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Dernière mise à jour de cette page : 28/01/2001